« Les villes ancestrales étaient presque toutes vertes »

Là où il y a économie des ressources, il y a une ville que l’on dira « verte »

Le concept de ville verte est-il galvaudé ? Sert-il à toutes les sauces ? Peut-on vraiment le définir ? Et, dans l’affirmative, quels sont les éléments qui le caractérisent ? Voilà autant de questions que nous avons soumises à l’examen de Claude Demers, professeure titulaire à l’École d’architecture de l’Université Laval. Globalement, résume la professeure Claude Demers, une ville verte, « c’est une ville qui devrait subvenir à ses besoins et qui inclut une certaine diversité de gens afin de la rendre viable ». L’idée à la base, dit-elle, est d’utiliser le minimum de ressources et de technologies. « Vous savez, les villes ancestrales étaient presque toutes vertes. »

Comme Rome ou Byblos ? « Oui, tout à fait. Et, ici même, on le remarque en Amérique du Nord dans l’architecture vernaculaire de type habitat pueblo, qui date d’un millénaire. Cela ressemble presque à de petits bâtiments étagés bien empilés qui se protègent de la chaleur. Juste pour vous situer, on est en Arizona, dans le sud-ouest des États-Unis. C’est très intéressant à observer, j’y ai fait des relevés sur place. Il y a en fait plusieurs façons d’utiliser le paysage, la falaise, la hauteur, la proximité des ressources naturelles comme les cours d’eau, la disponibilité de la nourriture, qui est un élément très important afin de minimiser encore une fois les déplacements. Il faut aussi s’assurer d’avoir une bonne orientation par rapport aux éléments naturels, comme le soleil, qui offre un apport d’énergie incroyable et qui est gratuit. »

Aujourd’hui

Ces concepts ont, avec le temps, été repris par plusieurs architectes contemporains, « comme Le Corbusier et sa ville radieuse, qui en faisait une utopie à travers laquelle on optimisait les ressources du sol ». D’autres concepts ? Claude Demers donne en exemple le Bed Zed (« Beddington Zero Energy Development »), qui est un écoquartier alliant le volet social au volet écologique et qui prend forme dans un quartier de Londres depuis une dizaine d’années. « Ce concept prône une approche “ énergie zéro ”, c’est-à-dire qu’on n’emprunte pas aux ressources. On utilise toujours un minimum de moyens contenus dans les éléments du bâti. Il est aussi ici question de masse critique de gens qui acceptent de se regrouper et de vivre un petit peu plus près les uns des autres, mais sans pour autant négliger des éléments importants comme la ventilation naturelle, l’exposition au soleil, etc. », note Claude Demers.

Restons dans l’esprit architectural. La professeure rappelle que, à ce titre, l’architecture se divise en trois échelles. « La première échelle est urbaine. Cela se traduit par la répartition et la localisation des masses dans un paysage urbain de haute densité et qui peut même être reclus dans un milieu paysager comme la campagne. Deuxièmement, il y a l’architecture à l’échelle de la personne. Celle-ci favorise un développement des détails architecturaux quant à la forme des bâtiments et sa contribution à capter les éléments naturels et à optimiser finalement cette volumétrie-là, les espaces entre eux, pour en faire des bâtiments économiques et énergétiques. » Enfin, il y a l’échelle du détail, précise-t-elle. « Ici, on arrive avec des systèmes qu’on peut contrôler. Donc, même à l’époque où il y avait des bâtiments en terre battue et des maisons en argile, on avait parfois un tapis pour fermer la porte l’été afin que l’air frais demeure dans la maison et que la chaleur demeure à l’extérieur. Il y a aussi le système de volets et d’autres pour ouvrir et fermer les cheminées. »

Retour sur le terrain

Concrètement, poursuit Claude Demers, « la ville de Masdar, à Abou Dhabi, est une nouvelle ville verte qui est présentement en développement. Elle est conceptualisée par l’architecte Norman Foster. Ce projet, qu’on critique parce que situé en plein désert, comprend toutes les utopies. En fait, l’architecte a étudié l’architecture vernaculaire locale en visitant les cités arabes traditionnelles. Il s’est inspiré de certains éléments pour les inclure dans son projet, comme construire des rues étroites pour les protéger du soleil, avoir des éléments d’ombrage dans les fenêtres, avoir des murs épais pour se protéger de la chaleur, installer des tours de vent et s’assurer qu’il y a beaucoup de végétation. Tout cela pour faire en sorte que, au final, cette ville puisse être entièrement accessible à pied. C’est vraiment ambitieux. » Plus largement, est-ce que l’étiquette « verte » est galvaudée ? « Oui, en effet. Dès qu’il y a, dans un quartier, des habitations considérées comme efficaces sur le plan énergétique, on s’appelle “ ville verte ”. Mais quand l’un de ses condos se vend 400 000 $, on se retrouve alors avec une clientèle qui ne va pas nécessairement vivre dans ce quartier-là, elle a tendance à utiliser sa voiture, et le principe de régénération ne sera pas appliqué. »

 

auteur : Thierry Haroun, Le Devoir

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